« L’affaire Gouzenko a paralysé les efforts d’espionnage russes en Amérique du Nord pendant plus d’une décennie. »

– Vasili Mitrokhin (ancien archiviste du KGB)

Aux derniers jours de la Seconde Guerre mondiale, le commis de chiffrement soviétique Igor Gouzenko est désenchanté du régime stalinien; son inconfort et sa peur finissent par avoir des ramifications qui changent le monde. Son travail de décodeur de messages secrets à l’ambassade soviétique au 285, rue Charlotte à Ottawa, ébranle la loyauté de Gouzenko envers les communistes soviétiques alors au pouvoir. Craignant pour sa vie et celle de sa femme et de son tout-petit, le jeune commis de chiffrement quitte l’ambassade pour la dernière fois le 5 septembre 1945. Il fait défection avec un plan, et avec la preuve – il sort clandestinement plus d’une centaine de documents top-secrets.  

Le contenu de ces fichiers était volatil. À l’été 1943, Gouzenko s’occupe des transmissions vers et de Moscou et est au courant de renseignements privilégiés. Travailler à l’ambassade lui avait permis d’entendre des conversations concernant des espions et sur le fait qu’une guerre entre les Soviétiques et les puissances occidentales était inévitable. Les documents de Gouzenko révèlent le réseau d’espionnage présent en Amérique du Nord et prouvent que l’Union soviétique est à amorcer les relations avec ses alliés en temps de guerre. Sa défection et la révélation de l’espionnage soviétique en Occident provoquent une panique internationale; certains historiens considèrent le 5 septembre 1945 comme le début de la Guerre froide.

Dossiers en main, Gouzenko s’efforce de consolider ses demandes contre son ancien pays tout en demandant l’asile au Canada. Il se rend d’abord au cabinet du ministre de la Justice, puis au Ottawa Journal, et se retrouve à la Cour de justice d’Ottawa. Bien qu’il n’ait pas réussi à obtenir une audience, Gouzenko réussit finalement à attirer l’attention du premier ministre William Lyon Mackenzie King. La GRC place Gouzenko en détention préventive pour l’interroger davantage. Toutes les personnes à qui il avait parlé étaient sceptiques quant à ses motivations, surtout à la lumière de l’alliance étroite de l’URSS avec le Canada pendant la Seconde Guerre mondiale. Cependant, après l’avoir interrogé et avoir examiné attentivement les documents, les agents du renseignement acceptent la preuve de Gouzenko, selon laquelle des réseaux d’espionnage opéraient à Ottawa, Montréal, aux États-Unis et au Royaume-Uni. Les Soviétiques avaient infiltré des ministères du gouvernement, le Conseil national de recherches et l’armée canadienne; ils s’échangeaient des renseignements classifiés, allant de codes à la recherche atomique.

Photo of Igor Gouzenko

Igor Gouzenko

Soviet Embassy in Ottawa

Soviet Embassy. Ottawa, Ontario.

Ces révélations ont déclenché des enquêtes dans le monde occidental. Le Canada soupçonnait 39 espions et en a condamné 18. Tous les espions n’ont pas été retrouvés, car les noms codés se sont avérés difficiles à analyser. Le partenariat de temps de guerre entre la Russie et les alliés occidentaux prend brusquement fin et une guerre idéologique commence alors, – tout cela en raison des actions d’un commis de chiffrement soviétique.

 

Gouzenko et sa famille restent au Canada pour le reste de leur vie. Le gouvernement canadien donne de nouvelles identités à Gouzenko, à sa femme et à leurs huit enfants pour assurer leur protection. Gouzenko continue de craindre les représailles soviétiques; lors de ses apparitions publiques, il se couvre généralement la tête d’une taie d’oreiller blanche. Pour certaines apparitions télévisées, sa voix est déformée pour la rendre méconnaissable. 

 

Malgré la peur évidente qu’il ressent, Gouzenko écrit de nombreux articles et deux livres pour établir son point de vue sur l’Union soviétique. Son livre de non-fiction de 1948, This Was My Choice, détaille les évènements entourant sa défection, et son roman Fall of a Titan, récipiendaire d’un Prix du gouverneur général en 1954, offre la  perspective d’un initié du système soviétique. Le roman révèle un système bureaucratique paranoïaque et suppressif contrôlé par Staline. Gouzenko et sa femme ont également écrit des articles de magazine pour expliquer leur histoire, ce qui s’est réellement passé pendant la Guerre froide, et la relation soviétique avec l’Occident. Son article de 1947, « I Was Inside Stalin’s Spy Ring », a inspiré un film hollywoodien intitulé Le Rideau de fer, qui porte sur sa défection et qui a été filmé à Ottawa et diffusé l’année suivante.

 

Gouzenko est également devenu un défenseur des anciens espions des pays dirigés par les Soviétiques. Il crée un programme en cinq étapes pour les encourager à venir en Occident :  

  1. Citoyenneté spéciale pour les anciens fonctionnaires soviétiques. 
  2. Garantie de protection à vie.
  3. Aide financière immédiate.
  4. Aide pour trouver un emploi convenable.
  5. Reconnaissance documentaire par le gouvernement.

Bien qu’Igor Gouzenko n’ait pas provoqué la Guerre froide, ses actions ont été l’étincelle qui a enflammé la tension croissante des différences d’idéologies entre les puissances mondiales dominantes. Les impacts de la Guerre froide se font encore sentir aujourd’hui dans notre monde globalisé. Les façons dont les puissances mondiales interagissent par l’intermédiaire des organisations internationales, leurs relations commerciales et leurs obligations en matière d’aide, tout cela découle des tensions de la Guerre froide. Mais alors que la peur et l’incertitude étaient les caractéristiques de la politique et de la société au temps de la Guerre froide, il en était de même des histoires d’intégrité morale et de résilience personnelle.

Notre Collection

Photograph – Gene Tierney and Dana Andrews in a scene from (Behind the) _Iron Curtain_ (Gouzenko) [2011A.031.001]

Book – The Fall of a Titan_ First Edition [2012A.001.381]

Excerpt from Magazine – Coronet Vol. 37 No. 5 March 1955 [2012A.001.603.C]

Excerpt from Magazine – Coronet Vol. 37 No. 5 March 1955 [2012A.001.603.D]

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